Laurent Fouillé déMobiliste

Sociologue Urbaniste

Chroniques des effondrements sur le chemin de l’école


Si tomber sert à se relever, on peut se dire que l’effondrement forme le remblai sur lequel autre chose sera bâti, ultérieurement et autrement. Au moment de la chute, ce n’est pas forcément la pensée positive qui vient en premier. Par chance, les effondrements dont il sera question ici n’ont pas provoqué le drame ultime : la mort des habitants de bâtiments effondrés, rue d’Aubagne à Marseille, rue Pierre Mauroy à Lille, dans le tremblement de terre turco-syrien, sous le pont Morandi à Gênes, ou encore partout où les bombes pleuvent…

Le 12 janvier 2022, un bâtiment s’est fissuré soudainement au 21 (puis au 19 et on voit sur cette photo que le 17 a eu besoin d’être renforcé au niveau des ouvertures) rue de Bourgogne à Orléans. « Un immeuble menace de s’affaisser : des habitants évacués » titre La Rep’ .

Les occupants de plusieurs bâtiments ont été relogés à la hâte. Le périmètre de sécurité mis en place interdit tout passage au croisement de la rue des quatre fils Aymon. Quelques mois plus tard, le provisoire est devenu durable et un peu plus loin, le 31 octobre 2022, d’autres bâtiments (77 et 79) ont donné des signes de faiblesse. « Risque d’effondrement neuf logements et un commerce évacués rue de Bourgogne à Orléans » titre cette fois La Rep’. Le schéma se répète : évacuation, périmètre de sécurité. Cette fois une liaison piétonne est laissée libre de passage.

J’écris ceci en tant que voisin. A ce titre, je pourrais évoquer le désagrément des détours, l’inquiétude partagée avec les autres riverains (si ça s’écroule là, pourquoi pas ici ?), la solidarité envers les occupants, la détresse des derniers commerçants durement touchés, la volonté de connaître les causes et responsabilités de ce sinistre… Toutefois, je souhaite aborder le sujet sous l’angle d’un déMobiliste, et de ce point de vue il faut reconnaître que le bilan est plutôt positif (profiteur de crise !!).

Parmi mes objectifs personnels, je souhaiterais que mes enfants puissent se rendre à l’école à pied sans que je les accompagne ET sans que je m’en inquiète. Du fait de l’inquiétude, largement liée à la circulation, je les accompagne. Il y a des parents-taxis, mais il existe aussi des parents-garde-du-corps, comme moi. En vérité, je fais l’escorte matin et soir sur le trottoir, soit au moins 8 fois par semaine (il y aussi le ping-pong, la piscine, la musique..). Ce trajet de 15 minutes est un temps privilégié avec les enfants, c’est une chance. En plus, comme je double le trajet à vide (haut-le-pied = « ne prend pas de voyageurs »), cela me fait réaliser une heure de marche par jour, soit le budget temps de transport « normal » ou encore le temps d’activité physique minimal pour un travailleur sédentaire de type claviste en AZERTY. Je n’ai donc objectivement pas à m’en plaindre.

En revanche, cette chance, tout le monde ne l’a pas. Du fait de leur inquiétude, des parents utilisent une voiture pour éviter que leur enfant ne soit écrasé par une voiture, comme d’autres vont s’installer à la périphérie pour fuir la circulation qu’ils causeront de ce fait. Au-delà des conséquences environnementales, ce chaperonnage est d’un autre âge, il infantilise, il n’offre pas l’espace propice à l’autonomisation. Au CP, on devrait pouvoir aller à l’école en solo.

Bref, remettant l’autonomie à plus tard, pour nous rendre à l’école avec mes enfants, nous avons plusieurs options d’itinéraire. Une première version du trajet est agréable et « longue », par les quais de Loire. Nous la privilégions à vélo ou à pied lorsque la météo est favorable et que nous avons le temps. La seconde version, plus courte et polluée par les voitures, emprunte la rue de Bourgogne. C’est celle que nous utilisons le plus souvent.

(NDR: un atlas est disponible plus bas , pour ceux qui aiment les cartes !!)

Effet secondaire positif de l’effondrement : les voitures disparaissent.

Dès le premier effondrement, la circulation avait été coupée. Une déviation avait été improvisée en inversant des sens uniques sur un tronçon de la rue de Solférino (NDR : la nôtre, on s’y est installé en 2018, quand les socialistes ont vendu 😉 et la totalité de la rue Coquille. De ce fait, le flux de voitures n’avait pas véritablement diminué, il s’était seulement déporté sur une plus grande part de notre itinéraire vers et depuis l’école, sur la rue Coquille (ainsi baptisée, on s’en doute, parce que l’asphalte y craque et prend l’apparence de morceaux de coquilles brisées ou alors parce qu’il faudrait des coquilles pour combler les nids de poule).

L’asphalte part en coquille et les changements de conduites offrent des bandes cyclables plus roulantes.

PAR LA LOIRE

PAR LA RUE COQUILLE, PUIS LA RUE DE BOURGOGNE

Cette voiture rouge fait partie de celles qui donnent envie d’organiser le challenge #j’inventemaplace (pas très viral).

Le 19/09/22 un compteur de voitures apparaissait dans notre rue (hasard calendaire, c’est le lendemain de la journée sans voiture).

Le mois suivant, le second effondrement, en créant un second point de blocage dans la rue de Bourgogne, fit grandement diminuer le trafic dans le quartier. La rue était enfin piétonne ! Une piétonnisation de crise, certes, pas de projet, mais une piétonnisation tout de même. On a les victoires qu’on peut…

En fait, nous vivons nez-à-nez avec un chantier sans projet, sinon celui de prémunir contre un péril imminent. J’occulte sciemment le versant tragique de la crise et tente de me focaliser sur la plante qui fleurit au milieu du tas de gravats : des enfants jouent au foot dans l’impasse que forme la voie à l’Est du premier effondrement. Chaque jour la scène se modifie, des ouvriers s’affairent, ils creusent, changent des conduites, rebouchent. Des peintures multicolores fleurissent sur le macadam, une couleur par réseau, du design actif aussi utile qu’éphémère. Ils auraient voulu faire une piste d’athlétisme, qu’ils n’auraient pas fait mieux.

Quelques mois plus tard, le second effondrement est jugé stabilisé suite aux travaux menés en urgence. Le 24/01/23, je reviens de Rennes et découvre qu’un compteur a de nouveau fait son apparition dans notre rue (pile en face de notre porte ce coup-ci. Merci aux services d’Orléans, j’apprécie le geste, moi qui ai passé des années à cartographier les points de comptages du trafic).

Le même jour, le deuxième point de coupure du trafic saute, les barrières sont retirées. Elles reviennent peu à peu. Elles sont moins nombreuses et hésitent à revenir comme auparavant, mais l’ouverture de la vanne permet au fluide de s’écouler à nouveau.

Enfin le chantier démarre sur les lieux du premier effondrement. Les tuyaux changent à vue d’œil.

Puis, le 17/02/23, la nouvelle tombe : la mairie envisage de concerter sur l’avenir du quartier et songe à la piétonisation, du moins, le sujet est sur la table !! « Et si le secteur Est de la rue de Bourgogne à Orléans devenait piéton ? » demande La Rep’. Moi, je dis : banco ! C’est un peu ma fête, car ça fait des années que je considère que tout le centre-ville intramuros (ici on dit intramails) devrait être piéton. Hélas, après consultation de l’agenda, la date ne colle pas ! Ma joie fut donc de très courte durée. Pendant que mes voisins pourront écouter les élus sur le sujet, je serai à Rennes, en train de travailler avec des habitants sur le plan de circulation de leur quartier… C’est comme la journée voiture, je loupe le début, mais je vais essayer de m’incruster, je vous préviens.

28/03/23 Début d’une nouvelle phase de travaux. On avait apprécié, la veille, la nouvelle déco faite au sol, les barrières et les tuyaux stationnés sur des emplacements neutralisés. Ça y est, le périmètre est bouclé, une tranchée est creusée, sous le goudron les pavés refont surface, ils s’amoncèlent dans une benne orange (merci Colas de ne pas partir avec, SVP, laissez les sur place, ils peuvent encore servir et on y tient à nos pavés).

Atlas des chemins de l’école et des effondrements

La suite au prochain épisode !!


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