Laurent Fouillé déMobiliste

Sociologue Urbaniste

Une voiture verte, qui roulait dans l’herbe…


🚙 voiture verte 🚙

Avant, quand j’en voyais une, c’était rare, je la prenais en photo et ça me faisait rire. Il n’y a pas de petit plaisir dans la vie. Et puis, j’ai commencé à en voir de plus en plus, souvent neuves. Les clichés s’accumulaient, je commençais à être débordé. En ce moment, le vert anis, qui tire vers le jaune (ou un jaune qui tire vers le vert selon le point de vue) se développe très vite. Je ne peux plus les photographier toutes, il y en a trop. Ce serait dangereux.

Alors pour objectiver mon ressenti, me rassurer sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’hallucinations ou de simple démence, j’ai recherché des statistiques sur les ventes par couleur et j’ai découvert l’Automotive Color Popularity Report que l’entreprise Axalta réalise depuis 70 ans.

Problème, la dernière mouture date de 2022 et le vert, c’est 1%, comme le jaune. Cela fait plus de vingt ans que cette couleur ne fait plus partie des 5 plus vendues. Il est intéressant d’observer qu’en Europe, seul le segment SUV/Truck atteint les 2%.

Puis j’ai trouvé le BASF Color Report 2023 for Automotive AEM Coatings dont un résumé est consultable

Cela se confirme, au niveau global, le vert serait passé de 1 à 2%, c’est fois deux !! En 2023 et je vous garantis qu’en 2024, ça va percer, c’est obligé.

Ce que je cherche à détecter, à mon avis, est franco-français et difficile à voir avec ce grain continental. D’où mes questions :

  • Existe-t-il des statistiques d’immatriculation ou de ventes par couleur de carrosserie ? Je n’ai pas vu ce champ dans la base de données des cartes grises (SIV : Système d’Immatriculation des Véhicules. @ ANTS : on peut l’ajouter ??
  • Avez-vous également ce ressenti du verdissement chromatique du parc auto près de chez vous ? Est-ce spécifique à certaines localités ?

J’attends une réponse de votre part. Normalement, tout le monde peut répondre à la deuxième.

Dans Gris, Peter Sloterdijk analyse la domination absolue du gris (noir + blanc + gris + métalisé >70%) :

« Ce qui n’est pas expliqué jusqu’à nouvel ordre, c’est comment il se fait qu’on voit rouler sur les routes allemandes trente ans après la « réunification » un nombre toujours croissant de voitures grises, notamment dans le haut de gamme, fréquemment pourvues de tonalités métallisées et mates sophistiquées ou bien, en édition limitée, sous des dénominations choisies comme gris Quantum ou gris Nardo ou encore, en option, gris Jumbo, gris Fantôme ou gris Abu Dhabi, sans oublier le gris Chamonix exclusif et le presque populaire gris Daytona. On est forcé de soupçonner bon nombre des conducteurs de voitures grises sur l’asphalte de la post-modernité d’avoir voulu être comptés parmi une élite consciente de ses avantages, mais soucieuse de ne pas les afficher de manière trop visible. » p.123

Je crois que ce que n’a pas vu venir le Maître de Karlsruhe, c’est la montée du Vert (sur ce point les instituts de sondage sont formels, le brun fait une percée, pas le vert). Il s’agit d’un signal faible, d’un épiphénomène probablement, mais il me semble significatif, si non statistiquement, pour le moins sur le plan de sa signification. Ce petit phénomène dit quelque chose. Il me parle et m’interpelle.

Lego Ninjago le film : « le Vert »

Lego Ninjago Le film : l’élément Vert !

Une fois que j’ai dit ça, il faut que je me lance dans une spéculation en direction d’une théorie explicative. Tentative modeste de contribution à la meilleure compréhension de la société française contemporaine.

Tout d’abord, le vote écolo ne me semble pas une bonne piste. Qui oserait encore dire que le rouge est la couleur des voitures des communeux ou le bleu celle des voitures de l’électorat de droite ?

L’écolo, on l’imagine plus avec un vélo, vert à la limite. S’il fallait néanmoins lui donner un bolide, ce serait une vieille caisse bardée d’autocollants contre NDDL et l’A69, on l’imagine aussi très bien en combi Volskswagen. Une Prius hybride ou une Yaris fabriquée à Valencienne feraient encore l’affaire. Dans une variante aisée, ce personnage roulerait dans une Zoé blanche ou même une Tesla, si l’étalage de richesse ne le dérangeait pas. Ce serait un écologiste friqué, une sorte de vert caviar. En dehors de ce dernier cas, l’écolo, plus que tout autre peut-être, n’a pas spécialement envie qu’on le voit au volant ou qu’on parle trop de sa voiture, il a tout intérêt à ce qu’elle soit discrète : il est soucieux « de ne pas l’afficher de manière trop visible ». Là, je brasse des stéréotypes, mais si un exemple devait suffire, je prendrais celui du citoyen Schwarzenegger (dont le nom donne une certaine légitimité en termes de colorimétrie) qui une fois devenu gouverneur de Californie et grand écologiste, ne devait plus parader en Hummer bodybuildé et dut opter pour une sobre Prius.

Il faut procéder autrement, puisqu’il n’y pas correspondance exacte entre couleur des partis politiques et couleurs des véhicules achetés par leur électorat. Si les choses étaient si simples, le vote ne serait plus vraiment à bulletin secret et il serait interdit de se garer dans les cours d’école, les jours de scrutins.

Si les couleurs achromatiques dominent le marché, du noir au blanc en passant par l’ensemble des gris, c’est aussi que l’adage de Ford est encore à l’œuvre : « le client peut avoir n’importe quelle couleur du moment qu’elle soit noir ». En effet, les constructeurs inondent le marché de ces coloris et les proposent souvent à bon prix (ça peut jouer). Le consommateur achète ce qu’il trouve sur l’étagère. L’acheteur dépassionné achète aussi du gris pour sa prétendue facilité d’entretien. Ce qui n’enlève rien à l’aspect anonymisant et conformiste : à Rome, fait comme les romains. Si le mur est gris, le caméléon aurait bien tort de ne pas ternir ou pâlir ses écailles. Les plus riches se font discrets tout en se distinguant encore parmi les 110 références de gris du catalogue au noms évocateurs. « Distingue-toi, mais fait-le en gris ». Donc, à la fin de ce processus, oser porter le costard bleu, rouge, vert, jaune, orange ou violet c’est tout de suite vouloir se taper l’affiche. C’est affirmer quelque chose. Les acheteurs le savent, ils ne peuvent l’ignorer. Il y a une politique des couleurs, mais il y a aussi une couleur des voitures qui précède la décision d’achat. Dans l’imaginaire, les couleurs vives sont associées à des fonctions spécifiques. Le jaune c’est les PTT et les engins de chantier, les bus scolaires et les taxis US. Le rouge, c’est les Ferrari et les pompiers. Bleu c’est gendarme ou gazier. Vert c’est… l’armée, les espaces verts, les poubelles parfois, Polizei toujours, mais chez nous la police est bleue. Pourquoi donc vouloir s’afficher en vert, ici et maintenant plus qu’hier ?

rouge et blanc pour ghostbusters

Je pense que c’est un vote inverse qui s’exprime. Si le vert est la couleur politique de l’écologie, c’est pourtant la couleur de voiture antiécologique par excellence, car elle incarne l’imaginaire du véhicule propre, cette chimère à laquelle peu de personnes croient encore. La voiture verte est donc un greenwashing qui ne nettoie rien, il salit, il reprend à son compte le cynisme et le choisit comme costume. C’est un crachat sur le capot de l’écologie (si l’écologie était une voiture).

« Ah vous voulez des voitures vertes, les Zécolos (à exprimer avec autant de mépris que « les Zalcoolos » et bah voilà, j’ai acheté une jeep verte, j’ai fait ma part. Je vous emmerde et maintenant qu’on me laisse rouler tranquille. » Un doigt d’honneur donc. Ce même message que l’on peut émettre avec un pickup énorme ou un écriteau plus explicite, on peut aussi le scander avec une banale voiture verte et un sourire en coin.

Si mon intuition n’est pas trop erronée, la progression des ventes de voitures vertes serait un indice de l’écolo-bashing ou du backlash écologique.

Mais peut-être que j’y vais un peu fort, le message n’est, tout compte fait, peut-être pas si revendicatif. Auquel cas, il ne s’agirait que d’un trait d’humour, une envie de plaisanter. Et je dois reconnaître que personnellement je suis sensible à la rigolade.

Faites progresser la science, donnez-moi votre avis : vous avez acheté une voiture verte ? Vous connaissez quelqu’un dont c’est le cas ? Vous êtes concessionnaires auto et vous avez vendu ce type de coloris ? Vous en vendez davantage (ou pas)? Les clients qui les achètent ont un profil spécifique (ou pas du tout) ? Vous avez une théorie alternative à proposer ?

Merci de le faire savoir en commentaire


2 réponses à “Une voiture verte, qui roulait dans l’herbe…”

  1. Dans les années 70, quand Citroen était un constructeur indépendant et inventif, il fallait demander à son voisin: « pince-moi, je vois une 2 CV verte! » pour s’assurer d’être dans la vraie vie, pas dans un rêve éveillé! ça n’avait rien à voir avec l’écologie! Citroen produisait aussi des Mehari orange en plastique, des AMI6 orange et des GS à suspension pneumatique, orange également…

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    • Figure toi que j’ai croisé une 2CV verte lundi dernier à Poitiers, mais je n’ai pas réussi à la prendre en photo (elle roulait trop vite). C’est vrai que les années 70 c’était le orange (je n’étais pas là, mais je l’ai vu chez les brocanteurs : lampe, téléphones, papier peint, meubles en formica). D’ailleurs, le combi VW auquel je pensais est justement orange. J’en ai encore vu un, il y a peu, lorsque les bagnoles de collection s’exposent en bord de Loire (je vais peut-être ajouter le cliché). Je me focalise sur le vert dans mon billet, mais le orange et le jaune reviennent aussi en force (j’ai l’impression).

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