Il faudra certainement encore longtemps avant que nous ne connaissions l’apaisement de la démobilisation. L’agitation a encore de beaux jours devant elle, ce n’est pas demain la veille que le gouvernement va décréter le retour à la quiétude. C’est pourquoi nous devons l’organiser par en bas, c’est ma conviction de démobiliste.

Fort heureusement, nous pouvons dans une grande mesure « vivre comme si nous étions déjà libres » c’est-à-dire comme nous l’entendons, en expérimentant. Si des habitants décident de pédaler, de vendre leur voiture, qu’ils demandent à leur maire de modifier le plan de circulation pour que leurs enfants puissent jouer dans la rue ou se rendre à l’école sans qu’un adulte ne leur tienne la main… alors la ville évolue. Il n’y a pas besoin de pistes cyclables dans une ville sans voiture, la rue suffit.
Nos territoires dans leur grande diversité, comptent parmi eux des femmes et des hommes dont certains pensent, comme moi, que la mobilisation a suffisamment duré, que nous ne pouvons plus continuer à solutionner l’augmentation de la demande de mobilité en lui offrant des services et des infrastructures supplémentaires, par des réaménagements seulement. Il serait en effet beaucoup plus efficace de réduire la demande. Parfois il faut le reconnaître : nous sommes allés trop loin dans le mouvement des biens et des personnes et cela nous rend extrêmement dépendants, car consommateurs d’énergies et de biens importés. Toute complication dans l’acheminement et l’approvisionnement nous place en situation vulnérable. Collectivement, nous n’avons cessé d’accroître les distances parcourues, l’énergie consommée pour ce faire et la facture globale de notre motorisation de masse (elle se compte en morts de la route, en asthmatiques, en euros et en GigaWatt d’énergie consommée). Pourtant, aussi sophistiquée soit elle, notre organisation des transports demeure une foire d’empoigne d’infrastructures (pour certaines vétustes), un empilement de modes et de services, dont résulte un océan de data en vrac.
Un exemple suffira : la livraison est un far west de camionnettes. Symbole de l’organisation bureaucratique rationnelle, industrielle et performante, la poste est devenue une constellation d’opérateurs et de plateformes concurrents. Les commerces font la poste et La Poste vend des forfaits téléphoniques. Vous vendez trois vêtements sur Vinted et vous voilà embarqué dans une tournée des différents relais colis, mondial relay et mondial colis. Dans ces commerces, vous récupérez et expédiez des colis, mais vous n’apportez aucun chiffre d’affaire supplémentaire. Pendant ce temps, l’expert de la messagerie US, l’entreprise OUPS, vous a encore laissé un avis de passage, il repassera demain quand vous serez absent de votre logement et finalement, après avoir oublié d’aller le chercher par vos propres moyens dans un entrepôt situé en périphérie de la ville, vos chaussures de randonnée achetées en ligne repartiront aux Pays-Bas sans que vous ne soyez parvenu à les essayer. Dommage. Et si, dans chaque quartier, il y avait un « bureau de poste » chargé de centraliser tous les envois et toutes les réceptions ? Et si des tournées étaient organisées à vélo, je crois que je tiens quelque chose, et si on les appelait des facteurs ? Un par quartier. Fini les camionnettes de livraison. Et pour les chaussures, un magasin semble le lieu tout indiqué pour les essayer.
Et si, à la place des plateformes concurrentes qui rackettent les restaurateurs et exploitent des livreurs, il n’y avait qu’une coopérative de livreurs municipaux. Les restaurateurs de la ville portent la plateforme (l’outil), les recettes dont ils sont prélevés iraient au salaire des livreurs ? Le service pour l’usager serait le même. En passant, on pourrait s’assurer que des scooters ou des voitures ne font pas concurrence aux mollets des cyclistes. Ces travailleurs de la pédale, nous devons les conforter, la décarbonation des livraisons, c’est eux. Leur précarisation est une aberration sociale et écologique.
Certains élus locaux ont l’intuition qu’il est temps de changer de modèle, mais ils manquent de solutions garanties et surtout les habitudes de leurs concitoyens (et les leurs) semblent monolithiques, ce qui favorise l’inertie ou la transition au ralenti – cela revient au même, la bonne conscience en moins. Les alignements de voitures semblent là pour l’éternité comme les menhirs de Carnac. Il en va de même de citoyens « ordinaires », qui agissent à leur échelle, mais ont le sentiment de former une goutte dans l’océan. Ils sont de plus en plus nombreux et il se peut qu’ils aient besoin d’aide, d’un accompagnement pour accélérer cette tendance et qu’elle ne demeure pas un épiphénomène. Ils doivent s’organiser.
C’est donc à eux que je m’adresse, je pense savoir comment nous pouvons sortir (vraiment) de l’automobile. Je ne vous parle pas seulement de ralentir les vitesses de circulations, de réduire ici et là le nombre de places de stationnement ou de créer des pistes cyclables ou des zones piétonnes : ça on sait le faire depuis longtemps. Il s’agit de réformer localement, sans légiférer puisque cela relève d’un autre échelon, mais d’adhérer à une nouvelle manière de vivre et circuler dans nos villes.
Le plan de démobilité que je propose ne va pas construire une ligne de tramway. Il doit partir des habitants, de leurs besoins, pour les relocaliser, les réduire, les remplacer, les mutualiser. Il s’agit de se fournir localement, de déménager pour se rapprocher, de décaler ses horaires d’arrivée au travail ou à l’école, de faire venir les achats plutôt que d’aller les chercher, de se faire livrer au quartier et non à l’adresse, de partager une outilthèque plutôt que d’aller acheter un outil… Les habitants sans voiture doivent montrer aux hésitants que le changement est possible et faire hésiter ceux qui pensent encore qu’il n’est pas possible de changer. Ensuite, il faudra négocier des changements auprès des plus retors.
Je propose de réaliser des plans de démobilité à l’échelle d’une petite ville ou d’un quartier. Il s’agit d’une démarche volontaire consistant à mutualiser les mobilités des habitants, à mutualiser les véhicules, à réduire le trafic local en mettant le stationnement à distance. La sobriété, ce n’est pas l’État qui la prescrit ou décrète, c’est l’organisation sociale locale qui la met en œuvre. Le sujet, c’est la proximité, le local, la convivialité, la reprise en main du quartier par ses habitants et leur remise sur pied et en selle.
Contactez-moi pour qu’on discute, et surtout pour qu’on le fasse, parce que discuter, nous l’avons suffisamment fait jusqu’ici et qu’il convient maintenant d’agir.