Il existe deux types de personnes : celles qui se déchaussent en entrant dans leur maison et celles qui gardent leurs chaussures à l’intérieur. C’est un peu la différence entre une mosquée et une église, mais les aires géographiques ne correspondent pas. L’explication confessionnelle ne fonctionne pas. A l’observation, la plupart des gens se comportent en bons musulmans (ou de manière peu orthodoxe, c’est selon) et enlèvent leurs chaussures dans leur logement, raison pour laquelle, ils s’équipent de chaussons ou de chauffage au sol s’ils préfèrent vivre leur intérieur pieds-nus. D’ailleurs, l’entrée standard d’un logement optimisé comporte un vestiaire ou un porte manteau et un placard à chaussures à proximité immédiate de l’entrée. Pour vivre dans un logement qui ne possède pas ce sas, je sais combien il est utile.

Si les chaussures sont stockées à l’interface, cela évite de polluer l’intérieur, car celui qui salit est aussi celui qui devra laver ou vivre dans la salissure. Et puis, être encombré de chaussures qui ne sentent pas toujours la rose, c’est peu pratique, encore moins esthétique. Si au moment de sortir de chez vous, vous devez aller chercher votre pair à l’opposé de l’entrée, c’est une perte de temps et d’énergie.
Considérons maintenant le parallèle qu’il est possible d’établir entre une ville et un logement. Une ville est en quelque sorte une maison commune à l’intérieur de laquelle, des habitants se sont regroupés. Ce parallèle peut nous faire glisser vers l’idée d’une « humanitière » ou d’une « anthropolière » si l’on considère les cités construites par les termites ou les fourmis, mais ce n’est pas le sujet ici. Dans cette optique, nos rues ne sont plus un dehors, mais bien un dedans, l’intérieur de la cité, l’environnement construit par les humains pour les humains.
Si la ville était une maison, ses boulevards seraient des sortes de couloirs qui relient entre elles les pièces ou quartiers, les rues et ruelles des passages à l’intérieur d’une pièce pour permettre d’accéder à un meuble ou un équipement. La cuisine serait un quartier aux fonctions alimentaires, le four pourrait être tantôt une pizzéria, tantôt une rôtisserie ou une boulangerie (à moins que ce ne soit la huche à pain). Le frigo serait le rayon frais d’un supermarché ou un marché de producteur. Le congélateur serait sans hésitation possible un picard. La salle de bain correspondrait à un complexe comprenant une plage ou un centre aquatique, des bains publics, un salon de coiffure, barbier, esthéticien, dentiste, pharmacie… Le jardin serait un parc ou une place. Les toilettes pourraient contenir une bibliothèque ou un vendeur de journaux, mais son rôle resterait celui de petit coin (il ne change pas d’échelle). Le salon constituerait une sorte de centre-ville contenant un centre de conférence, un cinéma, une boîte de nuit, une bibliothèque/librairie (il y en a dans tous les quartiers décidément)… La chambre serait une zone résidentielle, une cité dortoir, un lotissement pavillonnaire… Cette zone serait un vaste dortoir, car il y aurait autant de lits dans la pièce que de maisons dans un lotissement ou d’appartements dans un ensemble d’immeubles. Les magasins ou zones commerciales seraient logés dans des armoires, des étagères, des tiroirs. La déchetterie se composerait d’une poubelle principale et d’un réseau d’apport dans des conteneurs plus petits (là encore, pas de changement d’échelle). L’armoire électrique serait un transformateur, le réseau d’eau potable et d’évacuation des eaux usées suivrait un plan très simple en comparaison de ce qui se passe à l’échelle d’une ville… Je pense que vous avez bien compris la logique. A quoi ressemblerait cette maison commune si chaque personne qui entre le faisait comme dans une église ? Il y aurait des traces de pas partout, en effet.
Le lecteur attentif aura deviné où je voulais en venir, alors allons-y franchement : si nos chaussures devenaient désormais des voitures, comment décrire l’intérieur de notre maison ? Des parkings-relais ou des centres commerciaux périphériques peuvent être considérés comme de vastes meubles à chaussures, car ils sont situés à l’entrée. Les premiers permettent de se déchausser en optant pour les transports en commun à l’intérieur de la ville, nous conviendrons toutefois qu’un nombre considérable de personnes ne se déchaussent pas en entrant. Il y a des traces de pas partout, dans tous les couloirs et dans le moindre passage. Chose plus étrange encore, il y a des meubles à chaussures un peu partout (des parkings), des boîtes à chaussure à côté de chaque lit (des garages) et surtout des chaussures partout, disposées à la petite semaine, en rang le long des murs et alignées au pied de chaque meuble jusqu’à les circonscrire sinon d’un trait continu, au moins d’un pointillé.
Elles prennent beaucoup d’espace, elles sentent mauvais et salissent. Elles rendent le visuel encombré, le mouvement est rendu difficile, les accidents probables.
Si l’on décidait que désormais, il convient de se déchausser en entrant dans les villes, où devrions placer les meubles à chaussures, pour qu’il soit possible de se déplacer en chausson à l’intérieur de l’habitat humain ?
Et vous ? Vous vous déchaussez en entrant chez vous ? Comment sont rangées vos chaussures ? Et quand vous êtes en ville, plutôt chaussons ou plutôt chaussures ?
Les enfants ? Quand est-ce qu’on range la maison ?





Une réponse à “Éloge du placard à chaussures ou comment domestiquer les voitures en ville.”
Excellent. Mise en parallèle très réussie☺️
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