Laurent Fouillé déMobiliste

Sociologue Urbaniste

Orlé-Sans voiture


J’ai promis de rédiger le compte-rendu de ma première journée sans voiture. Comme je n’ai en réalité de compte à rendre à personne et que j’aime qu’on me raconte des histoires, j’ai opté pour une narration à la troisième personne de cette journée mémorable. En filigrane, il n’est pas compliqué d’en tirer une méthode rudimentaire d’intervention réplicable et adaptable dans de nombreuses circonstances. L’interruption de la circulation est l’événement par excellence. Lorsque le trafic s’interrompt, les témoins du calme retrouvé ne peuvent qu’aller les uns vers les autres, commenter la situation, se l’approprier collectivement, en faire une fête. Si votre mairie organise une journée sans voiture, profitez-en. On ne vit qu’une fois. C’est un peu ma première journée en tant que véritable déMobiliste.

SolferiNO Car Street

De retour de sa boîte à lettres, Laurent avait pris l’habitude citoyenne de parcourir le journal communal, ici Orléans Mag. Cette fois, il faillit tomber de sa chaise lorsqu’il découvrit qu’un atelier composé d’habitants du centre-ville organisait une journée sans voiture. Il se frotte les yeux : a-t-il bien lu ? Oui et ils recrutent d’autres habitants intéressés. Il appelle au numéro indiqué et s’inscrit sans attendre à ce groupe de travail. « Ils n’allaient tout de même pas faire ça sans moi ! ». Le petit groupe se réunit mensuellement à la mairie de proximité. Ils y échangèrent très ouvertement et chaleureusement avec l’élu de quartier par ailleurs Vice-Président Mobilité de la Métropole, Romain Roy, à l’initiative de ce projet.

Au fur et à mesure des réunions, l’événement fut réduit en durée (passant du week-end au seul dimanche 10h-18h) et en périmètre (passant du centre-ville complet à une grosse moitié), mais le projet se confirmait et la motivation se renforçait : il y aurait bel et bien une journée sans voiture à Orléans le 18 septembre 2022 ! Le groupe définit collégialement le déroulé de la journée, les animations, les partenaires approchés. Ils accompagnèrent l’élu à l’assemblée générale des commerçants pour qu’ils adhèrent ou au moins acceptent l’idée de cette journée.

En parallèle de ces réunions, notre ami déMobiliste parlait de cette journée à ses voisins et les tenait informés de cet événement qui finit par approcher.

J-7

Au cours d’un apéro comme il s’en fait de temps à autres dans les copropriétés conviviales de ce pays, il lance l’idée : « Dimanche prochain, c’est la journée sans voiture et si on organisait une fête de la rue et un park(ing) day? Comme ça, on rencontre nos voisins. » L’idée est très bien accueillie et la météo s’annonce ensoleillée. C’est parti (ou Party) ! Il lance une invitation sur la boucle du composteur collectif. Quelques réponses arrivent en fin de soirée, mais toutes du genre : « trop bonne idée, mais on ne sera pas là, dommage ».

J-2

Un peu déçu d’apprendre que la mairie ne fournira pas de craies, il fait la tournée des papèteries et magasins de jouets. Finalement, c’est chez carrefour qu’il découvre un stock sur lequel il fait main basse. De retour, il imprime 15 exemplaires A4 d’un message d’invitation qui se répète 4 fois par page. S’en suit une séance de découpage.

J-1

Le voilà boitant sa propre rue, devenu facteur improvisé. Quelques exemplaires en surplus finiront sous des essuies glaces. Il sort des craies et commence à informer par le bitume : « DIMANCHE 18 CIRCULATION INTERDITE ». Croisant des voisins et des personnes qui se garent dans la rue, il les informe de son projet de libérer des places de stationnement, afin d’y organiser une fête ce dimanche, à laquelle ils sont bien entendu invités. C’est aussi l’occasion d’informer sur l’événement officiel pour lequel ils ont reçu un flyer de la mairie. Visiblement, l’information s’est souvent perdue en chemin. Il est alors rejoint par sa petite voisine qui a elle aussi rédigé un message d’invitation. Les siens étant plastifiés, ils sont attachés à des panneaux et autres parcmètres.

Le matériel nécessaire à l’organisation d’une fête improvisée

En début de soirée, ils arpentent le bitume un instant et par chance, c’est précisément le moment qu’a choisi un jeune homme pour garer son véhicule. Ils lui expliquent leur démarche et que, s’il se gare là, ce serait vraiment sympa de sa part de déplacer sa voiture le lendemain matin avant 10h00. Ne souhaitant pas, il va se garer ailleurs. Sur cette place libérée, Vincent installe sa voiture pour la nuit, comme ça, il la déplacera, lui.

Ils auscultent alors le parking linéaire : « celle-là elle bouge demain matin, celle-là aussi, eux ils ont dit qu’ils partaient en week-end, celle-là c’est la tienne, la nôtre, celle-là on ne sait pas, celle-ci elle bouge, celle-là on verra…»

Jour J :

8H Levé d’impatience, il se rend directement dans la rue : trois places sont libres !  Il revient chargé d’un vieux transat en bois et de pots en plastique. Il s’abime le dos à déplacer un panneau « interdit de stationner » qui traine dans un bazar de chantier. Il prépare un thé et le boit dans le transat qui neutralise désormais une place. Il jubile : il occupe la place d’une voiture.

9H Ayant participé aux ateliers, il se rend place du Martroi au stand des habitants. Des photos de la ville avant/après la suppression du stationnement sont imprimées sur la bâche du stand, c’est chouette ! L’élu offre le café, France 3 vient filmer et interviewer. Laurent fait un tour de vélo à double niveau (imaginez un bus impérial). Après un départ avec de l’aide, il tente le démarrage en solo et se loupe. Son tibia gauche s’en est souvenu un moment. Son tour de permanence un peu raccourci (j’avoue), il se dirige vers la place de Loire. En chemin, il découvre le centre-ville apaisé. Des touristes demandent où se trouve la braderie ? On leur explique qu’il n’y en a pas, si tout est coupé, c’est seulement pour profiter du calme. L’idée semble leur plaire.

10h30 Place de Loire, un détour s’impose par la tente de Lig’Air. Il a invité Abdou à tenir un stand et ce dernier a accepté (c’est un peu de sa faute s’il bosse ce dimanche). Tout est prêt pour expliquer la problématique de la qualité de l’air ! Il ne manque plus que des visiteurs. Tiens, en voilà un justement et pas n’importe lequel : Charles-Eric Lemaignen est matinal ! Le déMobiliste descend ensuite sur le quai de Loire, pour remercier Thibault d’avoir accepté lui aussi l’invitation. C’est un peu le premier travailleur à vélo d’Orléans, enfin non, en vrai c’est Jean-Pierre à Vélo le premier et d’ailleurs il est là, lui aussi ! Thibault a fait venir l’essentiel des Boîtes à Vélo du coin. La journée s’annonce bonne, il fait beau.

11H Il prend un malin plaisir à marcher sur la voie qui a été fermée à la circulation sur le quai et le voilà déjà au pied de la côte de Solférino. Ils n’ont pas chômé les copains. Un attroupement est formé, avec tables et chaises, des vélos en cours de réparation, de la musique, les enfants ont un stand de décoration de vélo !! Des voisins (qu’il ne connait pas) sont également présents : objectif atteint.

Une fois retirées les voitures des participants, seules trois véhicules gênent encore. A ce propos, le propriétaire de l’une d’elle est venu récupérer des effets personnels et a promis de revenir « plus tard » pour déplacer son véhicule. Plus tard sera un autre jour. Laurent ressort ses craies, dispose des plantes et il est déjà l’heure de boire et manger.

12H Chacun a préparé un petit quelque chose, au final ça donne un banquet dressé sur deux tables de camping. Une voisine a apporté quelques saucisses, les voilà o-bli-gés d’allumer un barbecue (ce n’est pas bon pour la qualité de l’air, mais par contre pour la convivialité, on est au top.)

15H C’est bientôt l’heure de la parade à vélo ! Ils forment un impressionnant convoi (14) et dès le départ, il y a une cassure au milieu du peloton. Quel plaisir de rouler enfin sans voiture dans les rues Coquille et de Bourgogne. Ils optent ensuite pour le Bourdon Blanc et Dupanloup, parce que ça ne sert à rien d’emprunter la zone piétonne aujourd’hui, autant utiliser les rues qui ne le sont pas habituellement.

Réunis devant la cathédrale, ils forment une petite foule de cyclistes. Ils en espéraient plus. Ils réaliseront plus tard que leur délégation solferinienne représentait plus de 10% de l’effectif total. Ce n’est pas grave, c’est déjà tellement jubilatoire de participer à une circulation massive de vélo : il n’y a qu’eux sur l’asphalte et les pavés, guidés par Jeanne à Vélo. La fonction garde du corps des enfants se relâche un peu, au pire une chute, pas de chars d’acier, la rue n’est pas un champ de bataille. Pas de moteurs, seulement des pédales.

Chose marrante, un journaliste de France Bleu est venu leur tendre le micro sur le parvis de la cathédrale, avant le départ du défilé. Ils sont plusieurs à se prêter à l’interview. Le lendemain, ils seront sur la photo du journal local et sur les ondes de France Bleu.

Après la vélorution dans les rues d’Orléans, ils auraient bien participé au goûter offert aux participants, mais ils étaient attendus rue de Solferino (leur délégation n’était qu’une partie du groupe, l’autre partie tenant salon permanent) et les enfants voulaient rentrer à la base.

16h Ce goûter avait fière allure, Monique avait fait des crêpes et la confiture pêche basilic qu’il avait concoctée la veille rencontrait un certain succès.

Au cours de cette journée la plupart des passants furent enjoués de les croiser ainsi pique-niquant sur le macadam. Certains s’étaient joints à eux.

Un hommage particulier doit être rédigé en l’honneur du livreur inconnu qui prit soin de couper son moteur et pousser son scooter sur quelques mètres, en côte, pour ne pas déranger les festivités locales. Respect !

17h Voilà que déboule du haut de la rue un drôle d’attelage : un vélo tire une énorme remorque d’un genre particulier. Ici tout le monde la reconnait, c’est celle du plombier à vélo de la rue des 4 fils Aymon. Mais ce n’est pas lui qui tracte, non, ce cargo est celui d’un cycloposteur. C’est Cédric qui essaie la remorque du plombier. « Aujourd’hui, vous avez la plus belle rue d’Orléans ! » qu’il s’exclame. Ils lui offrent un siège, un thé et on discute un peu.

18h Les panneaux et plots qui condamnaient la rue à être paisible sont retirés manu militari à l’heure précise : les affaires reprennent ! Ils se hâtent de retirer leur mobilier. « Aller les enfants, il faut ranger ! » La brocante est démontée en deux-deux et déjà elles reviennent, s’empressant d’effacer la craie sans que la pluie n’ait à intervenir.

– Attention les enfants, on ne peut plus jouer dans la rue.

Bah pourquoi ?

Parce qu’elles sont revenues, la fête est finie, retour à l’intérieur.

Les enfants n’avaient eu aucune peine à retrouver la liberté d’aller et venir sur la chaussée, le retour à la captivité des trottoirs se vit plus difficilement.

J+1

Comme c’est étrange, hasard du calendrier, une boucle de comptage des voitures est installée précisément là où la veille encore on jouait dans cette rue. Si vous improvisez ce genre de manifestation non déclarée en préfecture, merci de me faire savoir s’il existe un lien de cause à effet, au cas où il ne s’agirait pas d’une simple coïncidence.

Combien de véhicules par jour rue de Solferino ?

PS : J’ai hâte à la prochaine édition. Je propose que des fêtes de voisins s’organisent un peu partout dans la zone fermée à la circulation. Que le circuit de la vélorution emprunte les rues qui auront fait partir les voitures stationnées et aménagé des espaces conviviaux temporaires. On peut aussi imaginer des dossards pour le défilé en vélo. Si le chauvinisme peut servir à quelque chose de positif, c’est l’émulation. Ainsi, comme pour les courses de chevaux à Sienne, nous pourrions diviser notre ville en mini-secteurs et encourager chacun à y envoyer la délégation la plus importante.


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